Le succès des doudounes se fait aussi par d’autres réseaux : ces objets deviennent objets de mode, sont réutilisés par différents groupes sociaux, qui les façonnent comme symboles d’appartenance identitaire. Nous nous focaliserons rapidement rapidement sur un seul groupe italien : les Paninari.
Du côté de l’Italie, les Paninari, jeunes aisés milanais, dominant les quartiers centraux de la vie, imprégnés par le mode de vie américain, s’emparent de la doudoune chère. Ces jeunes, dont le nom intriguant viendrait du café Al Panino, où ils et elles avaient l’habitude de se retrouver, se vêtissent de la tête aux pieds de marques coûteuses, se distinguant aisément des autres groupes de jeunes, qui affluaient dans la ville depuis les banlieues proches pendant les weekends.
Vêtue notamment de doudounes Moncler, cette génération de jeunes appartient typiquement à cette décennie des années 1980 : les conspicuous consommateurs, considérés rapidement comme insouciants, hédonistes, et définis par leur riflusso — manque d’activisme politique — se différenciant ainsi d’autres contre-cultures européennes qui naissent dans les décennies de l’après-guerre.
Leur uniforme ? Jeans Armani, Timberland or Frye boots, Americanino tops, chaussettes Burlington, et sacs à mains Naj-Oleari pour les filles. En hiver : la doudoune Moncler (en été, le polo Lacoste d’ailleurs). Tout ce qui était porté et concerne les paninari est typique de l’affichage conscient de l’argent neuf que les années 1980 ont apporté à l’Italie et qui se manifeste par une attention minutieuse, voire névrotique, à l’apparence (on disait des paninari qu’ils et elles s’asseyaient sous des lampes UV de manière compulsive au centre de beauté Rino Beauty Center).
Les groupes en périphérie (culturellement, socialement et physiquement dans la Milan suburbaine) vont progressivement tenter de s’en inspirer — afin de montrer cette escalade sociale des périphéries. Cette importance significative de ce passage italien et jeune est sans doute présent à l’esprit de Remo Ruffini lors de son rachat de l’entreprise en 2003.
D’autres groupes vont massifier la mode de ces tenues. Comme l’indique la jeune historienne Isabel Guerrero, attirés comme les Paninari italiens par l’American way of life, les lycéens français s’arrachent la fameuse Togs Unlimited de Chevignon – qui fête ses 40 ans cette année —, avec ou sans manches. Identifiable avec son canard brodé, elle connaît un succès planétaire — malgré son prix élevé dès l’époque. Présente parfois dans les cours branchées des lycées parisiens, flânant à la sortie d’Henri IV ou Louis le Grand à la fin des années 1980, elle est aussi, comme s’en souvient Thierry Henry : « dans la cité », arrivant aussi dans la périphérie de ce petit monde parisien : « Avec l’Air Jordan ou la doudoune Chevignon, tout le monde te respectait. » Néanmoins, auprès de cette jeunesse, ce n’est pas uniquement une pâle copie de ce qui se passe dans les milieux aisés parisiens : la doudoune a déjà une multitude d’accents.
En effet, outre-Atlantique, les débuts du hip-hop marquent l’avènement d’un style nouveau, volontairement oversize et aussi plus adapté aux rudes hivers new-yorkais. La Double Goose en cuir noir, dont le rembourrage forme un V, est emblématique de cette période, au point d’engendrer une série de vols.