En 1962, le couturier Hubert de Givenchy lance sa maison de couture. Soutenu financièrement et intellectuellement par Cristobal Balenciaga, le maître de la couture, Givenchy ne cessera tout au long de sa carrière de rendre hommage au créateur espagnol. En effet, Balenciaga avait déjà une longue carrière internationale derrière lui. Décédé en 1972, celui que tout Paris surnommait « le maître » a assuré la pérennité du style épuré et des lignes parfaites mais pragmatiques à une époque où le New Look contraignant de Christian Dior le laissait de marbre.
Dans les années 1950, Cristobal Balenciaga redéfinit la silhouette des femmes, assurant une amplitude de mouvement qu’aucun créateur de son époque ne pouvait égaler. Les robes sont raccourcies, les épaules sont dégagées,… Ce qui compte, pour ce modiste et créateur de génie, est avant tout une accessoirisation des pieds à la tête, qu’il propose souvent couverte de chapeaux somptueux. Cette sobriété de l’élégance, que l’on retrouve notamment dans la dominance de la couleur noire pour ses créations, lui permettra de compter parmi ses clientes fidèles l’aristocratie de toute l’Europe dont la Duchesse de Windsor et la Princesse Grace de Monaco. Cette dernière, par la suite, deviendra également une des clientes célèbres de Hubert de Givenchy.

Couturier majeur des années 1950-1960, Givenchy, du fait de son entourage familial et de son soutien public par Balenciaga, a très vite pu associer sa marque aux célébrités de l’époque. Elève de Jacques Fath avant de s’envoler pour New-York, le créateur habillera dès 1953 l’actrice Audrey Hepburn pour le film Sabrina. Deux ans plus tard, en 1955, le film recevra l’oscar des meilleurs costumes.

Désormais, Givenchy sera le couturier des plus grandes stars, habillant aussi bien les actrices à la scène comme à la ville, à l’instar de Jeanne Moreau, Marlène Dietrich, Greta Garbo, ou encore Lauren Bacall. Mieux, l’histoire accordera à Givenchy le statut de premier créateur à avoir inventé le concept d’égérie. En effet, l’actrice américaine Audrey Hepburn posera pour les publicités de mode de la marque et sera le visage du premier parfum Givenchy (« L’interdit ») en 1958. Un rôle d’égérie du parfum interprété en 2018 par l’actrice oscarisée Rooney Mara.
Cette « amitié mythique » et fidélité créative entre Audrey Hepburn et Hubert de Givenchy, qui ont duré quarante ans, ne sont pas sans rappeler les actuelles alliances entre Directeurs Artistiques et stars contemporaines.

De Demna et l’actrice Isabelle Huppert chez Balenciaga, à Alessandro Michele et la chanteuse Lou Doillon chez Gucci, la frontière entre amitié et échanges de bon procédé se dissout lors des montées des marches. Aujourd’hui on ne peut plus célèbres du fait de leur relais sur les réseaux sociaux, les tapis rouges dévoilent au monde les relations privilégiées que les actrices entretiennent avec les grands noms du luxe.

Lors de la montée des marches du célèbre Festival de Cannes, l’actrice américaine Kristen Stewart apparaît fréquemment vêtue en Chanel. L’an passé, c’est l’actrice Asia Argento qui est apparue sur le tapis rouge en Givenchy, vêtue d’une robe noire drapée qui n’était pas sans rappeler l’inspiration du couturier fondateur pour son maître à penser Balenciaga.

Dans une interview accordée au British Vogue en 2007, Hubert de Givenchy qualifiait Cristobal Balenciaga de « religion ». Le couturier espagnol fut adulée par les célébrités de son temps aussi bien que par les professionnelles de mode. Dès 1948, la sévère rédactrice en chef du Hapers’ Bazaar, Carmel Snow, avait encensé ses collections dans la presse. Discret et passionné par les étapes créatives, Balenciaga participait rarement aux essayages de ses clientes célèbres, même lorsqu’il s’agissait de ceux de Marlène Dietrich. Parallèlement, il se tenait à distance de la presse et des capitales historiques de mode quand bien même il se rendra à New-York constater par lui-même que son talent propre à la Haute Couture ne pourra jamais s’appliquer au développement du prêt-à-porter. Contrairement à Hubert de Givenchy, adepte de cette nouvelle ère médiatique et très présent dans les magazines, le couturier des couturiers n’accordera qu’une seule interview dans sa vie (au Times Magazine). Quant à Hubert de Givenchy, sa vision de la mode médiatisée et communicative le conduira jusqu’à Marseille où, en 1992, il donnera une conférence aux étudiants en école de mode suite à l’invitation de Maryline Bellieud-Vigouroux. Toute sa vie, Givenchy alternera entre transmission de mode et préservation de son patrimoine inspiré de son mentor Balenciaga.



Mi-créateur, mi-Dieu des créatifs, assurément grand architecte de la Haute Couture, « l’homme invisible de la couture française » (tel que le nomma la romancière Violette Leduc) laisse un héritage intemporel qui redéfinit à jamais la création de mode. Héritage que Givenchy, et bien d’autres marques de luxe, ne cessent de ré-interpréter à l’approche des saisons des tapis rouges afin de parer de cette élégance subtile les célébrités de notre époque. Cristobal Balenciaga a transmis la leçon intemporel du raffinement pragmatique, un allié intemporel des tapis rouges.


Saveria Mendella, doctorante en anthropologie de la mode, en contrat doctoral avec le Fonds de dotation Maison Mode Méditerranée.